De l’art et de ses frontières (Part 3)
Un des questionnements qui nous anime souvent chez Azimuts, c’est de savoir quand est-ce que l’on “fait de l’art” ou non… Non que ce soit central pour nous, mais vous seriez surpris de la fréquence à laquelle cette question nous est posée : “Mais du coup… c’est de l’art ça ?” Photo, film, podcasts… Tout ou presque est concerné !
Pour l’instant, nous en sommes à ce constat : n’importe qui peut devenir créateur d’œuvres d’art, par œuvre d’art (matérielle) nous parlons d’une création que quelqu’un est prêt à payer pour voir/entendre/posséder.
Le mieux pour comprendre ce qui suit, c’est de lire d’abord les deux premiers articles:
De l’art et de ses frontières, partie 1
De l’art et de ses frontières, partie 2 – si c’est fait, poursuivons.
Cette définition me semble corroborée par le fait que la notion d’œuvre d’art est précisément définie dans le code des impôts (oui, j’ai fait un tour sur wikipédia) et pas ailleurs.
Voilà pour les œuvres matérielles, et à cela nous ajoutons (peut-être arbitrairement) les spectacles, danses, pièces de théâtre, contes qui sont monétisés d’une manière ou d’une autre (subvention, mécénat, billetterie ou même chapeau).
Dans notre travail azimutien, nous ne réalisons pas systématiquement des objets artistiques, même s’il y une pratique, une initiation, et des créations… On ne parle pas d’oeuvre d’art. Il peut y avoir des moments où l’on s’en approche, par exemple une série de photos prises pendant une transmission de savoir à l’occasion d’une résidence au collège Vercors à Grenoble. On s’en approche seulement, car même exposées (en l’occurrence, elle sera exposée à la MDH Abbaye en janvier 2023… Si jamais!), c’est photos sont une production d’atelier, non une oeuvre. Pour qu’il y oeuvre, il faudrait que quelqu’un paie. Mais si on paie, il faut que quelqu’un ramasse les sous, un ayant-droit, un propriétaire…

Considérons maintenant que nous avons à peu près défini ce que peut être de notre point de vue une œuvre d’art. Il y a une interrogation qui demeure: et quand il n’y a pas d’œuvre, y a-t-il art?
Partons d’emblée du principe que oui : l’art peut-être parmi nous, sans qu’il y ait nécessairement œuvre, du moins sans œuvre matérielle. Il y a des exemples de pratiques artistiques produisant une oeuvre immatérielle, dont on peut avoir des exemples plus ou moins reconnus, du “certifié conforme arts contemporain” au “Wait…What?”. Un autre exemple: la photo de la banane scotchée (en ouverture de l’article) à un mur par Morizio Cattelan a été vendue 120 000 euros à la foire Art Bassel de Miami : c’est de l’art.
Indépendamment de leur immatérialité (on ne peut la toucher), les œuvres immatérielles remplissent tous les critères de l’œuvre d’art que nous avons dégagés jusqu’ici. Au même titre, d’ailleurs, que les œuvres numériques avec le principe assez nouveau du Nutrient Film Technique (NFT) .
A mesure que j’écris, quelque chose me gêne dans la conception de l’art au sens commun, c’est la notion d’œuvre (toujours en partant du principe que ce qui fait l’oeuvre c’est le fait que des personnes soient prêtes à investir de l’argent ou du temps pour la voir). C’est l’œuvre qui décide si l’on fait de l’art ou non, non pas sa qualité mais sa reconnaissance. On peut penser ici à nouveau à notre chère Vivian Maier, intronisée artiste parce qu’un type s’est un jour amusé à développer une valise de négatifs achetés au hasard.

Peut-on imaginer un art qui s’affranchisse de l’œuvre? Qu’est-ce que cela impliquerait? Est-ce que notre univers capitaliste le tolérerait ? S’il n’y a pas d’œuvre, il n’y a pas de valorisation, pas de richesse créée, pas de marché de l’art. Et s’il n’y a plus d’argent, quid du système de financement de la culture, de l’intermittence…
Est-ce que l’absence d’œuvre serait la mort de l’art… ou sa résurrection?
Il ne s’agit pas ici de faire la révolution en renversant le capitalisme en partant de nos interventions dans notre quartier de l’Abbaye, mais simplement de définir pour nous-même, pour nos partenaires et (surtout) pour les personnes prenant part à nos ateliers, la porte étroite par laquelle nous voulons passer pour arriver à nos fins.
Suite au prochain épisode.