De l’art et de ses frontières (Part 2)

Entre pratiques artistiques collectives gratuites et masterpiece ? Peut-on tous être artistes?

Une des questions qui nous anime chez Azimuts est de savoir quand est-ce qu’on “fait de l’art” ou non… Vous seriez surpris de la fréquence à laquelle cette question nous est posée : “Mais du coup… c’est de l’art ça ?” Photo, film, podcasts… Tout ou presque est concerné.

Alors… lorsque l’on travaille à quatre en résidence artistique sur le spectacle Rhizome créé à partir de deux ans de travail de recueil de paroles et de lectures… On serait tenté de répondre “Oui ! Ce que l’on crée est de l’art.”

Et quand on travaille avec tout un groupe de personnes à faire un film participatif, alors qu’elles n’ont jamais touchées une caméra, est-ce de l’art ? Si elles racontent leur vécu de déracinés, qu’elles écrivent, filment, se dévoilent, s’émeuvent, s’amusent, comme c’est le cas pour Des Racines, est-ce que cela relève de l’artistique ? 

Quand des mineurs détenus content une histoire devant les enseignants et surveillants de la prison, est-ce que ces jeunes garçons font de l’art ? Du moment qu’ils ont écrit leur histoire pendant des ateliers animés par nos soins, narrant leur itinéraire personnel avec un point de vue différent, réflexif, nous pourrions être tenté d’appeler cela comme tel…

Qui pourrait contester à ces personnes la dimension artistique de ce qu’elles font ?

 

Je vous propose donc de partir du principe que tout le monde et n’importe qui peut mener une activité à dimension artistique. Mais peut-on parler d’œuvre d’art ?

Qu’est-ce qui fait une œuvre d’art ? Il semblerait bien qu’actuellement une création devient œuvre d’art à partir du moment où quelqu’un est prêt à payer pour la posséder, pour la voir, pour l’entendre… Je n’ai pas d’exemple en tête (je suis preneur si vous en avez) d’œuvre d’art que personne n’a payé, qui n’a pas été faite dans l’optique de générer de l’argent, et qui est une œuvre d’art.

Mais ce qui me vient en tête, ce sont les photos de Vivian Maier, certaines oeuvres de street art (Basquiat à ses débuts par exemple) et quelques œuvres immatérielles.

Commençons par Vivian Maier : elle n’a jamais exposé ses photos de son vivant. Les photographies qu’elle à réalisées sont devenues « œuvres » une fois exposées et achetées. Vivian Maier n’a jamais été vue de son vivant comme quelqu’un ayant une pratique relevant de l’art : elle se baladait juste avec un appareil photo. Aujourd’hui elle est considérée comme une grande artiste.

Son histoire montre bien que tout le monde est capable d’avoir une pratique artistique digne d’intérêt, voire même de produire une œuvre d’art exposée, reconnue, écoutée, vue. C’est là une vérité banale difficilement contestable.

Vivian Maier, Autoportrait

Mais nous n’avons pas répondu à la question de départ : quand peut-on considérer qu’une simple pratique artistique relève de l’art ?Je n’aime pas l’idée de restreindre une œuvre d’art à l’existence d’une valeur marchande, mais je n’en vois pas d’autre.

Une pratique artistique ne suffit pas : croyez-moi, mes dessins malgré tous mes efforts n’ont rien d’artistiques ! A mes yeux – qui se trompent peut-être – une œuvre d’art n’existe en tant qu’œuvre qu’à partir du moment où elle est considérée comme telle par une personne prête à payer pour la voir, pour l’avoir, pour l’entendre… Du moins dans un monde capitaliste.

Pour aujourd’hui, notre réflexion s’arrêtera ici, en soutenant que oui, tout le monde peut avoir une pratique artistique intéressante. Mais pour en arriver à considérer le résultat d’une pratique comme une œuvre d’art, il faut une reconnaissance extérieure.


Mais quand même… Il existe des moments où l’art est parmi nous, sans qu’il n’y ait d’œuvre matérielle produite, et sans qu’il ne reste rien à la fin….


Suite au prochain épisode.